Le temps de la mémoire : Se souvenir de la famille Tasiemka

Se souvenir de la famille Tasiemka, mais aussi de celles et ceux qui ont été déportés parce que nés juifs, par le convoi 77, le 31 juillet 1944 de Drancy vers Auschwitz nous amène à la question de la transmission de cette mémoire.

Dans le climat d’antisémitisme actuel, on n’insistera jamais assez sur le rôle crucial des derniers témoins. Après une première tentative qui n’avait pas pu aboutir en raison du contexte sanitaire, nous avons eu la chance de pouvoir accueillir au collège Monsieur Robert Frank, le mardi 25 Mai.

Voici son témoignage :

Que se passera-t-il quand la voix des derniers témoins s’éteindra ? Quels outils pour transmettre ?

Il y a tout d’abord les lieux de mémoire, les lieux institutionnels. On pense bien sûr aux Archives municipales, départementales, nationale, au Mémorial de la Shoah, mais aussi aux musées tel que le musée de Royan que nous avons pu finalement visiter le jeudi 10 Juin.

Une petite visite s’impose pour découvrir un de ces lieux qui ont jalonné notre parcours à la recherche des traces de la Famille Tasiemka …

Ce sont aussi les plaques commémoratives. Lors de notre déplacement en Dordogne, nous avons retrouvé la plaque déposée par Robert Frank à Festalemps, mais nous n’avons rien trouvé d’équivalent à Bourg-du Bost.

Photographie de la stèle commémorative que Robert Frank à fait apposer au village de Festalemps prise lors de notre déplacement en Dordogne

A Poitiers, non loin des archives départementales, on peut découvrir cette stèle qui rappelle l’existence du camp d’internement de la route de Limoges.

A Paris, enfin, d’autres inscriptions font référence à cette histoire.

Photographie de la stèle commémorative transmise par Jean-Philippe Bozier des Archives départementales de La Vienne. Elle date d’avant la mise à jour, avec l’inscription des Espagnols qui ont été internés dans le camp de la route de Limoges

Photographies de deux plaques commémoratives qui font référence aux rafles du mois de juillet 1944 à Paris

Le mur des noms au Mémorial de la Shoah affiche aussi parmi les 76000 noms des Juifs de France déportés, ceux des enfants Tasiemka.

Photographie de la dalle du Mur des Noms, Mémorial de la shoah

Nous pouvons également citer le martyrologe des Juifs de la Moselle sur lequel nous retrouvons les noms des 4 enfants Tasiemka, dont voici un extrait qui nous a été adressé par courrier par Monsieur Henry Schumann.

Extrait du martyrologe des Juifs de la Moselle

Enfin, plus improbable, alors que nous étions convaincus en nous rendant à Royan, que le bombardement du 5 janvier 1945 ne nous permettrait pas de trouver de trace de la villa Emirazal où avait séjourné la famille Tasiemka, nous avons pu en remontant l’avenue de Bordeaux découvrir le bâtiment dont voici une photographie.

Photographie prise lors de notre déplacement à Royan le 10 juin 2021

Se souvenir de la famille Tasiemka, c’est aussi évoquer un autre temps fort de cette année scolaire partagé avec nos élèves.

La rencontre avec le film « Une vie nous sépare » de Baptiste Antignani. Par l’intermédiaire des Escales documentaires de La Rochelle en partenariat avec l’ONACVG 17, nous avons eu la possibilité de découvrir le travail de ce jeune artiste qui était, il y a encore de cela peu de temps, sur les bancs du lycée Pierre Corneille à Rouen.

Son projet a naturellement suscité notre intérêt puisqu’il y est question de la rencontre entre ce documentariste et Denise Holstein qui a été déportée par le convoi 77. Alors que 94 % des déportés du convoi 77 ne sont pas revenus de déportation, à l’image d’Adolphe, d’Anna, de Régine et de Marie, ce film nous permettait d’entendre une des rares rescapées.

Après avoir vu le film, nous avons pu avoir un temps d’échanges en visioconférence avec Myriam Weil la productrice du film et la coréalisatrice Raphaëlle Gosse – Gardet.

Photographie des élèves impliqués dans le projet lors de la visioconférence

Voici quelques-unes des réactions de nos élèves à la question qui leur était posée concernant l’émotion qu’ils avaient ressentie en voyant le film :

Ce qui nous a touché, c’est « tout d’abord le témoignage de Denise, son histoire, ses souvenirs, en particulier le moment où elle voit pour la dernière fois ses parents, ou encore le moment de l’arrivée à Auschwitz quand elle tient la main de la petite et qu’elle la lâche ». C’est aussi la relation qu’elle parvient à construire avec Baptiste, « une relation de confiance, une relation qui se construit à travers des moments partagés que l’on retrouve dans plusieurs belles séquences, en particulier cet instant où Baptiste décide de se rendre à la « mare de cendres » à Auschwitz et raconte ce qu’il voit à Denise au téléphone. On ressent alors l’émotion qui les gagne tous les deux. ». C’est enfin un film qui nous parle. « Il parle de l’adolescence de Denise. On s’identifie à elle, car on a le même âge qu’elle, à deux ans près. Par les moyens du cinéma, on ressent une proximité avec Denise. Le film donne l’impression de la connaître personnellement. On apprend à la connaître au fur et à mesure, en même temps que Baptiste, c’est très intéressant. Denise nous est montrée comme une femme très forte et attachante. Le lien avec Baptiste est très beau. ». A travers l’histoire de Denise Holstein, nous nous sommes rapprochés de l’histoire des enfants Tasiemka qui sont passés eux aussi à Louveciennes, au camp de Drancy avant d’être déportés par le convoi 77.

Se souvenir de la famille Tasiemka, c’est également faire le pari de la jeunesse comme « passeur de mémoire ». Baptiste Antignani en est la parfaite illustration. En accompagnement de son film « Une vie nous sépare », il écrivait dans le livre du même nom, les mots suivants :

« Seulement, l’homme l’a prouvé et le prouve encore quotidiennement, le vivre ensemble semble être un rêve difficile, presque impossible à atteindre. L’actualité de ces dernières années en est le témoin. La haine de certains contre les musulmans, la profanation de cimetières juifs … L’avenir est un mot qui fait peur. Notre jeunesse s’inquiète, se mobilise sur la thématique de l’écologie… Il est certainement trop tard et nous devrons assumer cet avenir, mais notre jeunesse a le devoir de ne jamais cesser de lutter contre l’obscurantisme. »

Se souvenir de la famille Tasiemka, c’est enfin se féliciter d’une initiative comme celle du projet Convoi 77 qui a fait grandir nos élèves en leur permettant, à travers la micro-histoire et l’étude de la destinée d’une famille, d’approcher autrement l’histoire de la Shoah.      

Nous aimerions terminer ce webdocumentaire en deux temps. Tout d’abord à travers la parole de nos élèves en leur demandant ce que ce travail leur a apporté :

“L’année dernière, j’ai choisi de faire partie du projet Convoi 77 car je voulais en savoir plus sur La Shoah, sur les conséquences de cet évènement tragique.

Et ainsi faire le devoir de Mémoire sur cette famille, retracer leur vie pour que tout le monde sache leur destin tragique et leur rendre hommage.

Pendant cette année, j’ai pu en apprendre plus sur La Shoah mais aussi découvrir des témoignages très touchants, comme le témoignage de Denise Holstein et de Robert Frank. J’ai été heureuse de faire partie de ce projet.”

– Emma

“Pour commencer, le projet convoi 77 m’a appris comment les enfants et les adultes juifs vivaient pendant la période la déportation, comment fonctionnent les archives départementales de Charente Maritime ou encore à chercher des documents historiques. Nous avons eu la chance de rencontrer plusieurs témoins de la déportation juive.

Ce projet nous a montré à quel point nous avons eu de la chance de ne pas avoir vécu la même enfance que certains enfants déportés ont pu vivre. Beaucoup d’entre eux ont été séparés de leurs familles très tôt, il faut alors se réjouir de l’enfance qu’on a aujourd’hui. “

– Paul

“Le projet “convoi 77″ m’a beaucoup intéressée et m’as permis de rendre plus concrètes les connaissances que j’avais déjà abordées au travers des cours, des livres et des films. Retracer l’histoire de la famille Tasiemka nous rend plus proche de ce qu’ont vécu ces familles. Le projet nous a aussi permis de rencontrer des témoins comme Robert Frank qui nous a raconté son enfance très touchante.”

– Clémence

“J’ai choisi l’année dernière de participer au projet convoi 77 pour plusieurs raisons.

Premièrement, je voulais connaître plus de choses sur cette période de l’histoire (la seconde guerre mondiale) et le parcours de nombreuses familles, déportées. J’ai trouvé très intéressant d’étudier l’histoire d’une famille en particulier pour bien comprendre tout leur parcours, proche de celui d’autres familles.

Ensuite, je trouvais cela important de redonner une certaine existence à cette famille, qui n’a pas survécu et qui n’a pas pu témoigner.

Enfin, nous faire participer à ce projet permet de faire perdurer le devoir de mémoire à travers les jeunes, ce que je trouve important.”

– Youna

“J’ai beaucoup appris de ma participation au projet Convoi 77. Je suis allée pour la première fois de ma vie voir des archives, malgré le contexte sanitaire. J’ai aussi vu comment interviewer, avec le matériel du Far et l’aide de Benjamin.

Ce fut très intéressant de retracer la vie des Tasiemka, et surtout important.

Le projet m’a aussi apporté quelque chose que j’espère ne jamais oublier ; la rencontre avec Robert Franck. Son témoignage était plus que marquant, et je lui suis très reconnaissante de l’avoir partagé.”

– Sarah

“Le projet Convoi 77 m’a permis d’en apprendre beaucoup plus sur la période de la seconde guerre mondiale mais aussi et surtout sur le sort des juifs à cette époque.

Il a aussi permis d’honorer la famille Tasiemka et toutes les autres familles victimes de ces atrocités, et de ne pas les oublier.”

– Madeleine

“J’ai souhaité participer au projet du Convoi 77 car je me sens concerné par le sujet au vu de mes origines et je suis convaincu que tout le monde doit avoir un devoir de mémoire pour ne pas reproduire les mêmes atrocités. 

Au cours de nombreuses découvertes et témoignages, je me suis senti touché par le parcours de la famille que nous avons étudiée. 

J’ai aimé participer à ce projet car il y avait une bonne ambiance d’équipe entre nous et le travail était bien réparti. 

Par ailleurs, je trouve dommage que tous les troisièmes ne participent pas à un projet comme celui-ci car il me paraît très important.”

– Solal

“Le projet convoi 77 m’a fait découvrir les entrailles de la Shoah en suivant la famille Tasiemka qui l’a vécue et qui en a été pulvérisée.

J’ai déjà une grande sensibilité mais les rencontres avec les témoins et en particulier avec Robert FRANK m’ont énormément marquée. Ce monsieur m’a vraiment touché et son histoire m’a atteinte au plus profond de moi.

Tous ces témoignages m’ont confronté à l’atrocité des hommes entre eux et ont mis des visages sur toutes ces douleurs endurées.”

– Sidonie

“Le projet Convoi 77 m’a beaucoup appris sur la cohésion et le travail d’équipe, sur le dépouillement des archives ou encore sur les interviews. De plus, la rencontre de personnes directement concernées m’a aussi énormément touchée.

Grâce à ce projet, nous avons pu rendre un devoir de mémoire à toutes ces personnes malheureusement décédées dans les camps de la mort.”

– Kadiatou

 

“Le projet Convoi 77 m’a apporté des connaissances sur les conditions de vie des personnes Juives, la déportation, les camps. Je trouve cela important de savoir ce qu’il s’est passé.

Cela permet de ne pas oublier et de tout faire pour que cela ne recommence jamais. Enfin ce projet m’a permis de rencontrer des personnes telles que Robert Frank et d’entendre de vive voix un témoignage.”

– Alice

“J‘ai souhaité participer au projet Convoi 77 pour pouvoir continuer à faire évoluer le travail de mémoire.

Ce projet m’a aidé à mûrir et m’a aussi fait prendre conscience de la gravité de la Seconde Guerre Mondiale. J’ai aussi pris conscience de la cruauté des hommes les uns envers les autres.

L’interview de Mr Robert Frank m’a beaucoup touchée car son histoire est très triste, je trouve que c’est très courageux de raconter son histoire devant des élèves.

Cela m’a beaucoup plu de participer à ce projet.

– Laura

“Pendant un an, ce projet m’a appris énormément de choses. Avant, je ne connaissais pas trop ce sujet, ni ses conséquences.

Maintenant, je me sens impliquée dans cette cause et j’en suis très contente. Je suis reconnaissante d’avoir pu découvrir cette histoire et d’avoir découvert cette famille Tasiemka au cours de cette année de cours.”

– Ines

“Le projet convoi 77 m’a permis d’aiguiller mes choix d’orientation car étant une férue d’Histoire, celui -ci m’a donné la possibilité de faire un vrai travail de recherche sur les Tasiemka. Il m’a fait comprendre l’enfer qu’a vécue ma grande tante ainsi que ma famille. Cette expérience est aussi une merveilleuse opportunité d’écouter des témoignages, tels que celui de Robert Frank et aussi de voyager avec le voyage à Bourg-du -Bost. Pour finir, je dirai que le projet convoi 77 est une expérience qui mérite d’être vécue.”

– Lucie

Le projet convoi 77 m’a beaucoup apporté, cela m’a fait voir le sujet de la déportation des Juifs et de la Shoah sous un autre angle. J’ai pu mieux comprendre l’horreur de ce qu’ont vécu ces gens innocents, leur histoire est tellement touchante. Je sais maintenant l’importance de la liberté, de l’égalité et de la fraternité au sein de la société pour ne plus jamais revivre un massacre de la sorte. Je me sens maintenant impliqué dans cette cause, et apte à retransmettre cette histoire pour ne jamais oublier. Alors merci de m’avoir apporté tout cela.

– Cerise

“Faire le projet Convoi 77, c’était avant tout pour moi un moyen de débuter « précocement » l’étude de la seconde guerre mondiale ainsi que le génocide des Juifs et des Tziganes, des thèmes que j’attendais comme beaucoup d’autres avec impatience depuis la 6ème.

 Avant, la Shoah était une notion abstraite, imprécise pour moi. Je ne pouvais imaginer l’étendue des dégâts, des dérives de certains êtres humains, et ce n’était pas en lisant des bandes-dessinées sur cela que j’arriverais à comprendre. Aujourd’hui tout est différent. Mon engagement dans le projet m’a appris de nombreuses choses, mais j’ai vite compris que le sort pire que la mort pour ces familles innocentes, c’était l’oubli.

L’oubli, l’ennemi de notre enquête. Avons-nous réussi à lutter contre lui ? Peut-être… Mais la plupart des témoins ne sont plus de ce monde pour nous le confirmer. 

Ce travail de mémoire m’a beaucoup appris, certes, mais j’ai pu, le temps de quelques mois, me mettre dans la peau de ces enfants, des enfants comme nous, sauf qu’eux, ils n’avaient rien demandé. Comparé au point de vue drastique que je me faisais alors des enfants ayant vécu avant moi, j’ai compris que nous n’étions en rien différents, et c’est ce sentiment d’empathie omniprésent qui m’a fait ressentir beaucoup d’émotions lors du projet, principalement lors du témoignage de Robert Frank, qui s’apparenterait à celui que nous délivreraient les Tasiemka s’ils avaient échappé à la fureur nazie.

J’ai beaucoup apprécié aller plus loin, tous ces petits détails : le camembert distribué au moment d’embarquer dans le train qui partait de Metz, la concentration d’enfants cachés en Dordogne… ce ne sont certainement pas des choses que j’aurais pu apprendre dans un cours normal.

Pour conclure, le Convoi 77 est un projet dont je ne regrette en rien ma participation, il m’a permis de m’ouvrir à des réalités qui n’étaient miennes, m’a fait rencontrer un témoin, qui nous délivrait un de ses ultimes témoignages, et m’a beaucoup fait réfléchir sur la chance que nous avons aujourd’hui de vivre dans une démocratie libre, en paix.”

– Jeanne

Dans un second temps, pour refermer ce webdocumentaire, voici les dernières images filmées par nos élèves lors de notre déplacement à Royan le jeudi 10 juin, en présence de madame Binot Allaire, membre de l’association des amis de la fondation pour la mémoire de la déportation, près du monument des martyrs de la déportation du square du 8 mai 1945.